Devenir aidant d'un proche âgé dépendant, à domicile ou en maison de retraite, est un acte profondément altruiste et généreux. Toutefois, ce rôle, souvent pris par amour ou par devoir, peut rapidement devenir accablant. Entre la gestion des besoins quotidiens de la personne aidée, les contraintes physiques et émotionnelles, et le manque de soutien extérieur, l’aidant peut faire face à une charge trop lourde et, malgré lui, adopter des comportements maltraitants. Cet article explore les raisons pour lesquelles un aidant familial, qu’il s’agisse d’un enfant, d’un conjoint ou d’un autre membre de la famille, peut en arriver à des comportements maltraitants, et propose des solutions pour prévenir ces situations.
Pourquoi un aidant peut-il avoir un comportement maltraitant ?
Même avec les meilleures intentions, un aidant familial peut parfois se retrouver dépassé par les exigences de son rôle, ce qui peut mener à des comportements maltraitants. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette dérive.
1 - L’aidant est épuisé moralement et physiquement
L'épuisement moral et physique est l'une des causes majeures de la maltraitance chez les aidants familiaux. Ces derniers se dévouent pour soutenir un proche en situation de perte d’autonomie, que celle-ci soit due à l’âge, à une maladie, à un handicap ou à un accident.
Ce rôle exige une disponibilité constante pour aider la personne à accomplir les actes essentiels de la vie quotidienne : se lever, se laver, s’alimenter ou encore se déplacer. Cette prise en charge pèse lourdement sur l'aidant, d'autant plus qu'il n'est généralement pas un professionnel de santé. Il doit ainsi jongler entre sa vie personnelle, ses responsabilités professionnelles et son engagement en tant qu'aidant.
À long terme, lorsque l’aidant est constamment sollicité, qu'il manque de sommeil et qu’il n’a pas le temps de se reposer, il peut finir par perdre patience, et avoir des comportements impulsifs, voire malveillants. Ces actes ne sont pas nécessairement volontaires, mais ils sont le fruit d’un trop-plein de stress, voire d’une situation de burn-out.
2 - L’aidant est démuni face au comportement de la personne âgée
Les personnes âgées peuvent adopter des comportements imprévisibles et difficiles à gérer au quotidien. Elles peuvent répéter inlassablement les mêmes questions, refuser les soins, ne plus vouloir s’alimenter, voire même se lever.
Ces comportements perturbants plongent souvent l'aidant dans un sentiment de déroute et d’impuissance. Un sentiment qui peut être aggravé par d'autres facteurs, comme la dépression fréquente chez les personnes âgées[3] en perte d'autonomie. Cette dépression[3], souvent silencieuse, peut se traduire par une perte d'intérêt pour les activités du quotidien, une tristesse constante, voire du chantage affectif, qui fait peser sur l'aidant un fardeau émotionnel supplémentaire.
Lorsque l’aidant est confronté à ces attitudes jour après jour, sans soutien extérieur ni formation adaptée, il peut, malgré lui, se tourner vers des comportements maltraitants : paroles blessantes, gestes brusques ou encore négligence dans les soins.
3 - L’aidant est lui-même victime de maltraitance de la part du proche âgé
L’aidant familial peut parfois être lui-même victime de maltraitance de la part du proche âgé, une situation particulièrement difficile à vivre. En effet, la perte d'autonomie, associée à un sentiment d'impuissance et de frustration, pousse certains seniors à développer des comportements agressifs, souvent en réponse à une douleur physique ou un mal-être psychologique.
Dans le cadre de maladies neurodégénératives comme Alzheimer [4]ou Parkinson, ces comportements sont courants et peuvent inclure de l'irritabilité, des cris, des insultes, de propos dégradants, et même des actes violents comme des coups, des pincements ou des lancers d'objets
Face à cette violence, l’aidant, déjà épuisé, se retrouve dans une situation de stress intense et risque de réagir de manière malveillante en retour, sans le vouloir.
4 - L’aidant manque de formation et d’accompagnement
En 2021, en France, plus de 9 millions de personnes sont en situation d’aidant familial, et la plupart n’a reçu aucune formation spécifique pour cette mission complexe.
En effet, accompagner une personne en perte d’autonomie demande des compétences spécialisées, notamment pour gérer les troubles cognitifs, les problèmes de mobilité ou certains besoins médicaux. Cependant, de nombreux aidants familiaux se retrouvent à assumer ce rôle sans préparation adéquate. Face à des situations délicates, comme des crises d’angoisse, des refus de soins, ou encore des comportements agressifs, ils peuvent se sentir démunis.
Sans formation appropriée pour comprendre et gérer ces difficultés, l’aidant peut faire face à une surcharge émotionnelle et physique et oublier les principes de la bientraitance.
5 - L’aidant familial est confronté à un conflit avec la famille ou avec le senior
L’aidant familial fait souvent face à des conflits qui exacerbent le stress déjà intense de sa situation. Les tensions peuvent provenir de la famille, notamment lorsque les proches ne s’accordent pas sur les décisions à prendre concernant la personne âgée, ou sur la manière de s’occuper d’elle. Ce manque de cohésion familiale crée un climat de conflit pesant sur l’aidant, qui se retrouve pris entre des attentes contradictoires et des reproches constants.
De plus, il arrive fréquemment que l’aidant doive prendre soin d’un parent avec lequel il entretient une relation difficile, voire conflictuelle. Il peut s'agir d'un parent qui n’a pas été présent ou avec qui les rapports ont toujours été tendus. Dans certains cas, des rancunes ou des blessures profondes refont surface, rendant la tâche encore plus éprouvante. Le fait de devoir s'occuper d'une personne avec qui l’on est en froid, ou même fâché depuis longtemps, accentue le sentiment d’injustice et de frustration chez l’aidant.
6 - L’aidant se sent totalement isolé
L'isolement joue un rôle déterminant dans la dégradation des relations entre l’aidant et la personne aidée. Les activités qui faisaient partie du quotidien de l’aidant, comme sortir avec des amis, pratiquer des loisirs ou simplement prendre du temps pour lui-même, sont sacrifiées pour répondre aux besoins de son proche. Cette perte d’implication dans tout ce qui n'est pas en lien avec son rôle d’aidant, peut provoquer un profond sentiment d’inutilité, car il ne se voit plus qu’à travers son rôle de soutien, au détriment de son identité propre.
Ce sentiment d’isolement est souvent renforcé par l’incompréhension de l’entourage. Ceux qui ne vivent pas cette situation de l’intérieur peuvent juger l’aidant, lui reprocher un manque de patience ou minimiser l’ampleur de sa tâche. L’aidant se sent alors non seulement seul dans sa mission, mais aussi incompris et critiqué, ce qui amplifie un sentiment d’injustice et de découragement.
La frustration, le sentiment d’être abandonné et le poids constant des responsabilités peuvent alors mener à des réactions disproportionnées envers la personne aidée, malgré l’amour ou l’affection qui lui est portée.
Comment l’aidant peut-il éviter de basculer dans la maltraitance ?
Heureusement, il existe des moyens de prévenir la maltraitance, tant pour protéger l’aidant que la personne aidée. Cela passe par une prise de conscience de l’épuisement et la mise en place de stratégies pour alléger la charge mentale et physique.
Savoir s’écouter
L’une des premières étapes pour éviter de sombrer dans la maltraitance est de reconnaître ses propres limites. L’aidant doit apprendre à s’écouter et à reconnaître les signes d’épuisement, qu’ils soient physiques ou psychologiques. Il peut s’agir :
- un sentiment de fatigue persistante, même après une nuit de sommeil ;
- une irritabilité accrue même pour des choses insignifiantes ;
- un sentiment d'impuissance face aux défis quotidiens ;
- une perte d'intérêt pour des activités habituelles ;
- des troubles du sommeil ;
- un isolement social ;
- des problèmes de concentration sur des tâches simples ou une incapacité à prendre des décisions ;
- des symptômes physiques tels que des douleurs inexplicables, des maux de tête fréquents, ou des problèmes digestifs.
Reconnaître ces signes avant-coureurs est crucial, car il s'agit de premiers indicateurs qu'il est temps de chercher de l'aide ou de prendre des mesures pour se ressourcer. Écouter ses besoins et ses limites est une étape fondamentale pour prévenir le burn-out, préserver le bien-être de l’aidant et éviter les comportements négatifs.
Trouver du répit
Il existe diverses solutions de répit qui permettent à l’aidant de bénéficier d'un relais ou d’un soutien.
- L’hébergement temporaire de la personne âgée dans un établissement médico-social tel que l’EHPAD[1] ou le foyer d’accueil médicalisé (FAM).
- L’hébergement en famille d’accueil, que ce soit à temps partiel ou complet, selon les besoins.
- Le relai à domicile, avec des solutions telles que l’aide à domicile[5], de jour ou de nuit.
- Le séjour de répit pendant les vacances permettant à l’aidant de voyager avec son proche en situation de dépendance[6] tout en s’octroyant du temps pour lui.
Ces moments de pause sont cruciaux pour éviter l’épuisement et les dérives. En explorant ces différentes options, les aidants peuvent se ressourcer, retrouver de l’énergie et aborder leur rôle avec plus de sérénité.
Participer à des groupes de parole
Les groupes de parole et les associations sont des espaces d’échange permettant aux aidants de sortir de leur isolement et de partager leurs expériences, leurs difficultés et leurs émotions.
Ils créent un environnement où l’aidant peut extérioriser ses ressentis, discuter des défis du quotidien, mais aussi des moments plus heureux. Ce processus de verbalisation est essentiel pour prendre conscience que d’autres traversent les mêmes épreuves. Ce sentiment d’appartenance est un soutien psychologique puissant, aidant à relativiser et à éviter le sentiment de solitude. Pour trouver un groupe de parole, vous pouvez vous tourner vers :
- le Centre Communal d'Action Sociale (CCAS[7]) de votre commune ;
- le Centre Local d’Information et de Coordination Gérontologique (CLIC[8]). Un annuaire en ligne est disponible pour identifier le CLIC[8] le plus proche de chez vous ;
- les plateformes d’accompagnement et de répit qui travaillent en lien avec les services départementaux.
Ces groupes de parole jouent un rôle central dans le bien-être des aidants. Ils permettent à chacun de trouver un espace de compréhension mutuelle, loin du jugement, et d'obtenir un soutien émotionnel, tout en découvrant des solutions concrètes pour alléger la charge quotidienne.
Devenir aidant familial est un acte noble, mais la pression physique, émotionnelle et l'isolement peuvent pousser l'aidant, malgré lui, à adopter des comportements maltraitants. L'épuisement, le manque de soutien, et l'absence de formation sont autant de facteurs qui favorisent cette dérive. Reconnaître ses propres limites, bénéficier du droit au répit de l’aidant et rechercher un accompagnement adapté sont essentiels pour prévenir ces comportements et préserver à la fois l'aidant et la personne aidée.
Laissez un commentaire